Destination : 89 , Afer Adagium


Logorrhée

Je me suis levé, j’ai commencé à verser le café dans la tasse, à ce moment-là, elle avait déjà commencé à dérouler son habituelle litanie, à croire qu’elle n’avait jamais arrêté, bien sûr que tu le sais depuis le début, tu peux le nier si ça t’arrange, mais ça ne changera rien, rien de rien, ni aux faits, ni à la vérité. La réalité, c’est le genre de choses qu’on n’ignore pas, personne n’est innocent, crois-moi, et toi moins que les autres.
Le café était amer, plus que d’ordinaire, encore trop de chicorée et elle, toujours enfonçant le même clou, tes histoires de frontière, de franchissement, d’affranchissement, avec Lulu, ça c’était vraiment le bouquet, ah tu ne vois même pas de qui et de quoi il s’agit, tu as oublié, pas moi. Bien sûr, tu peux continuer à te taire, tu as le droit de jouer au grain de maïs caché sous la feuille pour échapper à la poule, de croire que tu peux le faire, tu peux te voiler la face, imaginer qu’il y aura toujours un dernier wagon, une lumière rouge pour te sauver. Et tu voudrais que ce soit moi qui me sente coupable, moi qui ai toujours préféré la mer à la terre.
Je pensais à ce dicton, en ce qui concerne l’amertume, la vie suffit déjà largement, j’avalais quand même douloureusement cette boisson qui m’arrachait les entrailles, ses paroles achevaient de les fouailler, dans un débit incessant.
Et elle, sans fin, je te connais mieux que tu ne te connais toi-même, tu envisages naturellement de désobéir, de te défiler, de faire comme s’il n’était pas mort, comme si tout n’était pas mort, comme si tu ne l’avais pas su dès le début, pas su que tu étais né pour nous tuer, avec tes jeux de mots sur la terre - se taire - il se terre. Malin, ça. Crois-moi, tu n’es pas plus innocent que les autres, bien au contraire. Tu cherches à le faire croire, tu le sais pourtant depuis le début. Ca ne changera rien, tu peux te taire ou te terrer, te cacher parmi les feuilles, rentrer dans un trou sans espoir de lumière ni rouge ni verte, il n’y a pas de lumière crois-moi, tu peux faire tout ce que tu veux, c’est ma vérité à moi qui est la seule réelle et tu le sais bien, pas tes élucubrations.
Maintenant, il est au fond du trou, je suis au fond du trou, et toi, tu te crois où ? Tu crois que tu n’y es pas, que tu es différent, moi, je sais que tu y es, encore plus au fond, et c’est bien comme ça. Tu peux le nier si ça t’arrange. La vie est un trou qui nous aspire, aucune frontière n’arrêtera le souffle, bien sûr que tu le sais depuis le début. Tu ne peux pas choisir le moment du grand saut, tu choisis le silence, l’ignorance, l’attente si tu veux, la frontière, mais pas le saut ; je l’ai moi-même attendu si longtemps. C’est le genre de choses que tu n’ignores pas, même si tu dis le contraire. Et tu dis qu’il préférait la mer ?
Moi ? non… je dis que j’aime mieux l’amertume.
Ah, excellente celle-là, tu ne me l’avais encore jamais faite. L’amertume, la mer tumeur, ta mère se meurt et toi, tu finis ton café, et tu passes ton temps à jouer avec les mots.
Et tu te prétends innocent ?

Christine C.